Le nouveau rapport du GIEC révèle les échecs passés en matière de protection du climat. Est-il encore possible d’éviter les dégâts ? Comment réussir à inverser la tendance ?
Le changement climatique progresse rapidement et prend des proportions de plus en plus importantes. Les changements climatiques sont désormais observables dans chaque région et zone climatique du monde. Nombre de ces changements se produisent pour la première fois depuis des milliers d’années ; certains d’entre eux nécessiteraient des centaines, voire des milliers d’années, pour être inversés. Un retour en arrière complet n’est plus possible, mais il est encore temps d’agir pour limiter le réchauffement de la planète et ses conséquences. C’est ce qui ressort de la dernière évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies, publiée lundi à Genève.
Depuis le dernier rapport de 2014, les événements extrêmes liés au changement climatique ont augmenté dans le monde entier. Les prévisions et modélisations passées se sont pour la plupart avérées exactes. Les années 2015 à 2020 ont été les plus chaudes depuis le début des mesures de l’Organisation météorologique mondiale. Même si l’on prend à l’avenir des mesures fermes en matière de protection du climat, les évolutions climatiques actuelles dureront encore des années – comparables à une très longue distance de freinage. Dans tous les cas, les conséquences climatiques seront donc encore plus graves dans un premier temps.
Le changement climatique est-il donc irréversible ? Les données de recherche sur lesquelles se base le rapport montrent que le monde se dirige actuellement vers un réchauffement d’au moins 3 degrés Celsius d’ici 2100. Il est toutefois encore possible de réduire l’ampleur du réchauffement climatique. Pour cela, les hommes doivent toutefois réduire dès maintenant et de manière conséquente les émissions élevées de CO2 et d’autres gaz à effet de serre, avertit le Conseil climatique dans son rapport. Ainsi, les températures mondiales pourraient se stabiliser d’ici 20 à 30 ans, et même, dans le meilleur des cas, baisser légèrement à long terme. Dans le cas contraire, le réchauffement de la planète ne pourrait pas être limité à l’objectif fixé à Paris de 1,5 ou même 2 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle.
L’accent doit être mis sur le CO2, qui est le principal moteur du changement climatique. Pour stabiliser le climat, l’humanité doit au moins atteindre des émissions nettes de CO2 nulles. Des réductions supplémentaires d’autres gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques auraient également un effet positif sur le climat. Une réduction du méthane, en particulier, pourrait permettre de gagner du temps à court terme et d’éviter d’atteindre des points de basculement. Mais à long terme, il n’y a pas d’autre solution que de réduire les émissions de CO2, car le CO2 reste dans l’atmosphère environ dix fois plus longtemps que le méthane, s’y accumule et a donc un effet durable sur le climat, a expliqué au préalable la co-auteure Kiendler-Scharr. Selon le rapport, pour chaque millier de gigatonnes d’émissions de CO2 cumulées, la température à la surface du globe devrait augmenter de 0,27 à 0,63 degré Celsius. Dans l’ensemble, le budget restant de l’humanité pour les émissions nuisibles au climat serait fortement limité.
Plus la Terre est chaude, plus les conséquences sont graves
Les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine auraient déjà réchauffé la Terre d’environ 1,1 degré Celsius depuis le début de l’ère industrielle (1850-1900). En Allemagne, il a même augmenté d’environ 1,6 degré Celsius, comme l’a déclaré Astrid Kiendler-Scharr, co-auteur de l’étude, lors de la présentation préliminaire. Selon le rapport, le seuil de 1,5 degré sera probablement atteint ou dépassé en moyenne mondiale dans les 20 prochaines années. Dans toutes les régions du monde, les gens devront s’attendre à des vagues de chaleur et à des étés de plus en plus longs dans les décennies à venir. Plus la terre est chaude, plus les conséquences du changement climatique sont dramatiques. Les seuils critiques pour l’agriculture et la santé humaine seraient par exemple plus souvent atteints avec un réchauffement de 2 degrés qu’avec un monde plus chaud de 1,5 degré. Les surfaces terrestres et l’Arctique en particulier se réchauffent plus rapidement que la moyenne mondiale ; les conséquences du changement climatique s’y font donc sentir plus fortement et plus tôt, surtout dans les villes.
Outre la chaleur et la sécheresse, il faut s’attendre dans les décennies à venir à des changements au niveau des vents, des précipitations et des océans – notamment des pluies intenses et des inondations plus fréquentes, des niveaux de mer plus élevés et des inondations ainsi que des processus de fonte plus rapides dans les zones de permafrost, les glaciers et les calottes glaciaires. Des inondations du siècle pourraient avoir lieu chaque année à la fin du siècle. Selon le rapport, les mers deviendront encore plus chaudes, plus acides et plus pauvres en oxygène au moins jusqu’en 2100 – avec des conséquences dramatiques pour les écosystèmes marins et la capacité de stockage de CO2 des océans.
Afin de pouvoir évaluer plus concrètement les conséquences sociales et écologiques pour les différentes régions et de permettre aux décideurs de procéder à des adaptations locales basées sur les risques, le rapport actuel sur le climat contient pour la première fois des évaluations des conséquences climatiques régionales. Un atlas interactif permet à chacun d’explorer en détail les risques régionaux. Il n’est certes pas possible de les prédire concrètement pour certains pays comme l’Allemagne, mais pour des régions comme l’Europe centrale et occidentale.
Un condensé de connaissances climatiques issues d’années de recherche
Le rapport actuel « Climate Change 2021 » est la première des trois parties du Sixième rapport d’évaluation (AR6) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Le groupe de travail I y a rassemblé l’état actuel des connaissances de la recherche climatique internationale sur les « bases physiques » du changement climatique. Pour ce faire, 234 scientifiques de 66 pays ont analysé plus de 14.000 publications. Les gouvernements des 195 pays membres du GIEC ont adopté ce rapport vendredi dernier, après deux semaines de discussions virtuelles, prenant ainsi acte du travail des chercheurs.
Les rapports partiels II et III seront publiés au printemps 2022. Ils se concentreront sur les conséquences climatiques et les possibilités d’action. Depuis le dernier rapport du GIEC en 2014 et l’accord de Paris sur le climat qui en a résulté (2015), le Conseil climatique a déjà publié trois rapports intermédiaires sur les conséquences climatiques du réchauffement de 1,5 degré (2018) pour la terre et l’eau (chacun en 2019). Le premier rapport du GIEC a été publié en 1990 et a servi de base à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Depuis, le GIEC met en garde contre les conséquences dévastatrices du réchauffement climatique, et ses évaluations servent de base scientifique aux décisions politiques prises dans le monde entier pour protéger le climat.
Le changement climatique provoqué par l’homme est incontesté depuis des années parmi les experts et clairement prouvé scientifiquement, mais certaines relations restent encore incomprises dans le détail. La science du climat a fait des progrès considérables ces dernières années en ce qui concerne l’attribution et la pondération des différents facteurs climatiques et de leurs conséquences, a expliqué Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe de travail responsable du rapport. « Nous avons maintenant une image beaucoup plus claire du climat passé, présent et futur, ce qui est essentiel pour comprendre où nous allons, ce qui peut être fait et comment nous pouvons nous préparer », a déclaré Masson-Delmotte.
La prochaine conférence mondiale sur le climat, qui se tiendra en novembre à Glasgow, montrera si les politiques agissent en conséquence.